vendredi 24 août 2012

Curtea de Arges - Sfantu Gheorghe (Poivre)



Lundi 6 aout : 140km. Apres un bon petit dej' au restau et 25 km de route en commun avec le pepere, nous nous separons d'un commun accord pour quelques jours. Mais non on s'est pas disputes; nous avons deux bonnes raisons qui motivent cette decision :
-Afin que chacun puisse vivre une petite experience de voyage en solo : l'immersion dans la nature et les interactions avec les gens etant differentes que l'on soit seul ou en groupe.
-Parce que je veux arriver a Tulcea le 10, alors que Nico n'y sera pas avant le 11. Tandis que mon compepere filera vers Brashov, au nord, je descendrai vers Bucarest, a travers les plaines agricoles du sud du pays.
Sur l'esplanade d'une simple station service, nous faisons nos recommandations pour les cinq jours a venir. Etrange moment que cet au revoir, apres presque deux mois de vie commune.

Jusqu'a Pitesti, la route est correcte, et les conditions ideales : en descente, avec le vent de dos. Tant mieux : j'aimerais atteindre Bucarest des ce soir, et c'est a 175 km.
Mais au bout d'un moment, ca se complique un peu. La Roumanie subit actuellement de grosses vagues de chaleur et de secheresse; dehors il fait 40 degres, et les champs ont tendance a secher sur pied. Le Poivre lui aussi commence a se ratatiner sur selle. Impossible se se soustraire aux rayons de soleil : sur plus de cinquante kilometres, la route est bordee de part et d'autre par un alignement ininterrompu de maisons basses, sans arbres ni verdure d'aucune sorte... Il faut savoir que bien des villages roumains s'etirent ainsi le long des routes, les particuliers semblant bouder la tranquilite d'une maison qui serait situee un peu en retrait des routes principales. On passe souvent d'une localite a une autre sans meme s'en rendre compte, et il semblerait que cela soit d'autant plus vrai lorsqu'on se rapproche de la capitale.

Rajoutons a ca un trafic dense, des camions qui klaxonnent pour nous demander de rester sur le bord de la chausse defoncee, de la poussiere, et encore un peu de soleil, et vous aurez une idee de l'etat mental du Poivre au bout de quelques heures : le neant psychique. On se retrouve a pedaler sans plus rien eprouver ni ressentir : exit la conscience de ce qui nous entourre, la joie, la colere, la fatigue... les coup de pedale ne sont plus mu par la volonte, mais par l'activite automatique des genoux quı restent en mouvement jusqu'a contre-ordre.


Petite halte en fin d'apres midi, a Gaesti, dans un parc boise. Alors que je souhaitais ronchir un chouilla, pose sur un banc public des plus confortables, voila t'y pas qu'un groupe de jouvencelles se ramene la bouche en coeur, minaudant et prenant l'air devot. Les croutes de sel mele de cambouis sur ma tronche fatiguee, le tout accompagne d'un doux fumet mi crasseux mi phongieux n'ont pas eu raison des demoiselles, qui pousseront l'adoration jusqu'a offrir de menu cadeaux a ma majeste. Je repart plus riche d'un bracelet iconographie, et d'une bille etoilee. Grand seigneur, je leur offre mon chapeau en repartant. Triple buse : et comment est ce que je vais me proteger du soleil maintenant?

Faut repartir, mais plus vers Bucarest. Cette route, elle mene surement en enfer! Mieux vaut remonter vers le nord en passant par Targoviste. Barre a babord, Totoro, Sylvio, Bonobo, il reste 40 bornes a faire avant ce soir.
Les 40 kilometres les plus longs de ma vie. A une allure d'escargot, le Sylvio dodelinant de la roue avant, la ville s'approche petit a petit. Une foret assechee et vallonee, au sol tapisse de detritus, servira de decors fınal pour cette etape. A 9h du soir on y est enfin. Les dernieres forcent qui me restent seront a peine suffisantes pour me trainer dans le lit de la premiere pension rencontree.


Mardi 7 aout : Il semblerait que le Poivre ait un peu trop tire sur la corde ces derniers temps. Je ne me sens pas du tout d'attaque pour avancer : une journee de repos est obligatoire. Le temps sera passe a ronchir, manger, reronchir, bloguer, et ronchir encore un brin. Faut ce qu'il faut.


Mercredi 8 aout : Ca va mieux, mais pas au point de faire 300km en deux jours. Tant pis, je triche, le dites pas a Nico! Je vais prendre un train jusqu'a Braila, et de la poursuivre en velo jusqu'a Tulcea.

A la gare, la guichetiere m'informe que les trains directs pour Braila ne prennent pas les velos, il semblerait qu'un detour par Bucarest soit indispensable. Ok, de toute facon y a pas le choix.
Arrive a Bucarest, commencent les complications : comment ca j'ai pas le droit de mettre le velo dans le train pour Braila? Serais-je venu jusqu'a la capitale pour rien? Pas question, mieux vaut raler, c'est ce que font les francais quand ils ont un doute! Et parfois ca marche! Non pas que la guichetiere ait ete emue par mes acces de colere, mais ceux ci auront eu le merite d'attirer l'attention d'un voyageur francophone qui viendra a ma rescousse pour parlementer : Aurelian, qui se dirige lui aussi vers Braila. La dame a son guichet campe sur ses positions, mais il est possible de demander directement avec le controleur du train. D'un grognement, celui-ci agree a ma demande : je paierai une fois le train en marche. Et c'est la que je toucherai du doigt la corruption dans le systeme roumain.

Le controleur sus-cites et son collegue ont de vraies tetes d'escrocs, je crois d'abord a une camera cachee! Le premier, un costaud au crane rase luisant de transpiration, hesite sur la meilleur facon pour detourner a son profıt le montant du voyage. Il passe et repasse sans arret devant Aurelian et moi, se massant lentement la nuque, et s'installe parfois a cote de mon compagnon, parlant du bout des levres a l'intention de mon interprete improvise, evitant toujours de nous regarder dans les yeux. Parfois son collegue s'approche a son tour. Celui la est petit, sec et nerveux. Sous sa petite moustache, un sourire sournois lui crispe la bouche, sauf lorsqu'il se met a macher compulsivement son chewing gum. Il porte haut la casquette, sa chemise est moitie deboutonnee,sa plaque avec numero de matricule a ete enlevee... une caricature ce type la! Je m'attends a tout moment a voir Lino Ventura et Bernard Blier se ramener dans le wagon pour la distribution fınale de dragees." Aux quatre coins d'la Roumanie qu'on va les r'trouver, éparpillés par petits bouts façon puzzle. 'Moi quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite, j'disperse, et j'ventile.''
On finit par me donner un billet, sans reclamer d'argent. La date indiquee dessus n'est absolument pas celle du jour, mais c'est pas mon probleme, du moment que j'arrive a destination. Arrives a une certaine gare, un troisieme controleur monte dans le tortillard pour verifıer les billets a son tour. Tant qu'il n'est pas reparti, on me demande de rester assis a cote du petıt nerveux, actuellement occupe a feuilleter un magazine porno... Une caricature j'vous dit! Une fois le tierce controleur descendu, les deux autres demanderont le prix du voyage, inferieur a ce que j'aurais paye pour un vrai ticket.
Aurelian et moi poursuivons le voyage a bavarder tranquillement , et une fois arrıves a Braila, il me proposera l'hospitalite pour la nuit.


Un personnage atypique, Aurelian. Malgres ses airs de ''pere noel'', c'est un accro de sports de combats asiatiques, de religion et d'esoterisme. Il pratique le yoga depuis des annees, au point d'envisager la mise en place de seances collectives dans la region. Il est interessant de noter qu'un nombre important de personnes en Roumanie associerait orthodoxie et croyances plus exotiques, d'origines locales ou etrangeres.
Nous mangeons chez lui un repas gargantuesque prepare par son epouse Elena. Aussi bon que copieux.

Un detail concernant la nourriture en Roumanie : si on veut bien manger, il faut aller chez l'habitant : tous les repas auxquels nous avons ete convies etaient delicieux. Au restau par contre, nous n'avons eu qu'une seule bonne experience contre.... beaucoup d'autres catastrophiques! Legumes (frais en ete, mis en conserve pour l'hiver) et produits laitiers constituent la base de la cuisine roumaine, simple et saine. On y consomme aussi beaucoup de porc (saucisses et salami), et dans une moindre mesure de la volaille.
Cote boissons, on trouve de nombreuses infusions originales et delicieuses preparees par les particuliers. De meme, chacun prepare sa palinka (eau de vie) selon sa propre recette. Les bieres du pays sont egalement tres bonnes, et legeres, on a du en boire des futs entiers (cela dit on fait ca depuis l'Allemagne...)!


Jeudi 9 aout : 94km. Apres les adieux a Aurelien et Elena, il est temps de reprendre le velo pour la derniere etape avant le delta : Tulcea. Apres avoir pris le bac qui nous fait franchir le Danube, la route serpente sur les bords d'un petit massif peu eleve, plante au dessus des plaines inondables et riches qui precedent le delta. Peu de monde sur la route, un beau paysage constitue de champs, forets inondees et larges bandes de joncs, quelques villages eparpilles le long du chemin... le Danube nous a prepare une derniere etape bien paisible, et les kilometres passent rapidement.